« Et ce n’est que depuis les années 1980 que l’on travaille l’idée de résilience, la possibilité de se remettre à vivre après une agonie psychique traumatique ou dans des conditions adverses.
[…] les pressions environnementales modifient l’expression d’une bandelette d’ADN. À partir d’un même alphabet génétique, le milieu oriente mille récits différents.
[…] Tout enfant a besoin d’une niche sensorielle pour tutoriser ses développements.
[…] En luttant contre tout ce qui appauvrit la niche sensorielle des premiers mois, on sécurise l’enfant et on stimule tous ses développements.
[…] souvent, c’est une décision politique qui structure la niche. »
Ces quelques extraits du chapitre écrit par Boris Cyrulnik, « Pourquoi la résilience ? », dans
« Résilience, de la recherche à la pratique » (Anaut, Marie et Cyrulnik, Boris, 2014, Ed. Odile Jacob), suite au 1er congrès mondial de résilience.
Boris Cyrulnik est un grand, très grand Monsieur, et si on devait se contenter d’un seul auteur pour théoriser autour de la prise en charge des enfants, ce serait lui. Neurologue, psychiatre, éthologue et psychanalyste, il n’a cessé d’enseigner, de former et vulgariser pour le grand public, écrivant de très nombreux ouvrages, en particulier à partir de la notion de « résilience ». Il a vécu, lui-même, dans des « conditions adverses » particulièrement prégnantes, petit enfant qui n'a échappé à la déportation, et à sa condamnation à mort, par les NAZIs, que grâce à l’engagement d’une résistante à l’invasion allemande de la 2ème guerre mondiale.
Vous n’êtes formé ni en psychologie, ni en pédagogie, ni en développement de l’enfant et vous ne comprenez que pouic aux extraits ci-dessus ? Allez, un petit effort, en analysant la structure des mots, vous allez tout de même réussir à savoir de quoi on parle…. Et vous vivrez, en même temps, un peu de l’expérience d’un bébé arraché à sa famille, à un moment où la communication n’est presque que stimulations sensorielles et qui se retrouve dans un milieu inconnu, sans cesse changeant, ce qui le plonge dans la confusion.
Mais appliquons ces extraits à la situation de Bénédicte. Les « conditions adverses qu’a connu ce tout jeune enfant » sont celles qui ont présidé à sa naissance, où sa mère aurait pu mourir, ainsi qu’elle-même, et Bénédicte a été inondée des hormones de stress produites par sa mère, qui a été victime de pré-éclampsie en fin de grossesse. Pour simplifier, on peut dire que la pré-éclampsie se produit lorsque l’organisme de la maman ne peut plus faire face aux modifications de la grossesse et que tous ses organes commencent à être surchargés, principalement son cœur et ses reins. La maman de Bénédicte s’est trouvée aux portes de l’éclampsie, là où le pronostic vital est engagé.
L’agonie psychique traumatique est le résultat d’un trauma et l’arrachement d’un bébé à son milieu, ici à sa mère, est un traumatisme majeur qui a un effet extrêmement nocif sur le bébé, à moins qu’il ne soit placé dans un cadre stable, sécurisant, qui favorise sa résilience (sa récupération et possibilité de reprendre son développement).
La notion de « niche sensorielle » est l’environnement sensoriel dans lequel grandit l’enfant. A partir de cela, Cyrulnik recommande une niche sensorielle suffisamment riche. Vous savez, ce langage bébé, fait d’« areuh areuh », dont on inonde les oreilles de nos tout-petits, sur un mode chanté, hautement affectif, avec une communication par le regard, indispensable pour stimuler le développement du cerveau de l’enfant, les petits bisous faits sur son ventre, le portage, le bercement, les chansons qu’on lui chante avant qu’il ne s’endorme. On a estimé que la maman de Bénédicte stimulait insuffisamment Bénédicte, enfin, par des interventions insuffisamment variées (estimation faite en 3 jours, en post-chirurgie…), ce qui pourrait constituer un appauvrissement de la niche sensorielle de Bénédicte.
On a alors placé ce tout petit bébé dans un foyer, où du personnel s’est occupé tour à tour de lui. En Suisse, il n’y a pas d’obligation d’avoir un référent pour chaque enfant placé au sein d’un foyer et, la plupart du temps, les professionnels se succèdent auprès de l’enfant, ce qui est délétère car ça crée difficilement une possibilité d’attachement sécure. Bénédicte a été privée de tout ce qui fait la niche sensorielle habituelle d’un bébé, en raison de son placement, ainsi que tous ses compagnons d’infortune, autres bébés placés.
Lorsque cette toute-petite a été trouvée en arrêt respiratoire (qui n’a rien d’une mort subite, décès qui survient sans signe annonciateur, par arrêt respiratoire, parce que le système respiratoire n’est pas encore bien rodé et donc son fonctionnement autonome pas assuré à 100 %), les notes de prise en charge, auxquelles la famille a pu avoir accès, mentionnent une dizaine de jours (DIX jours !!!!) pendant lesquels la petite s’est enfoncée dans une apathie de plus en plus importante, ses heures d’éveil journalier diminuant dramatiquement, sa prise de liquide étant insuffisante. Puis, elle a cessé de respirer. Pendant ces 10 foutus jours, pas un seul membre du personnel de ce foyer, ni la direction, n’a jugé bon de faire appel à un médecin. L’arrêt respiratoire de la petite s’est soldé par une hospitalisation de plusieurs semaines.
Je vais m’arrêter là pour aujourd’hui parce que c’est littéralement insupportable, pour moi, de décrire ce qui s’est passé. J’ai été marquée, à jamais, par le visionnement d’un film sur la dépression des tout-petits séparés de leur figure d’attachement (mère ou/et père) pendant quelques jours/semaines, alors que j’étais en formation.
« Souvent, c’est une décision politique qui structure la niche ».
Au Mouvement Suisse pour la Coparentalité Responsable (MSCR), nous avons l’habitude des excuses qui n’en sont pas, du renvoi des responsabilités à autrui.
Cher(-ères) professionnel(-les) de l’enfance, si vous avez bénéficié d’une formation ES ou HES, vous ne pouvez qu’avoir de bonnes notions de ce qu’est l’attachement et de la nécessité de stimulation multisensorielle des bébés. Comment est-il possible que vous ne remontiez pas de telles prises en charge, multi-déficitaires, à votre Direction ? Votre Direction est possiblement formée en tout autre chose qu’en développement de l’enfant parce que, malheureusement, on demande de plus en plus aux Directions d’être formées plutôt en gestion RH et en économie.
Chères Directions de foyers, il relève de votre responsabilité d’avoir, au sein de votre personnel, suffisamment d’employé-e-s suffisamment qualifiés et de maintenir, au sein de votre institution, un espace de parole suffisamment ouvert et où votre personnel peut, et doit, vous faire part de ce qui ne permet pas des conditions favorables à la santé des enfants et à leur bon développement.
Pour la DGEJ telle que gérée actuellement, le « chère », m’est difficile, mais soit, chère DGEJ, vous êtes l’organe suprême vaudois en charge de la protection de l’enfant. Ne savez-vous pas que le placement d’un nourrisson, quand il est indispensable, mesure suprême de protection, devrait préférentiellement se faire dans une famille d’accueil ? QUID d’un réseau suffisant de familles d’accueil, mais surtout QUID de la formation et de la création d’intervenants socio-éducatifs à domicile ? Si vous ne relayez pas ces demandes, n’exigez pas des fonds pour ce faire auprès de l’Etat de Vaud, qui le fera ?
Au vu du contenu de la publication de ce jour, pour Bénédicte, nous en envoyons un double à Madame Manon Schick, directrice pour la DGEJ, ainsi qu’à Monsieur Vassilis Venizelos, chef du Département de la jeunesse à l’Etat de Vaud.
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